Lecture : « 89 mois » de Caroline Michel

« J’ai trente-trois ans, ça y est. A quarante ans et des poussières, mon corps sera hors jeu. Il me reste donc sept grosses années pour faire un enfant, soit quatre-vingt-neuf mois. Un chiffre minuscule. A peine deux mille sept cents jours. Que peut-on faire en deux mille sept cents jours ? Rien. J’en ai déjà mis cinq à construire trois meubles Ikea. »

Jeanne, célibataire, contrôleuse de train sur la ligne Paris-Auxerre, n’a qu’une obsession : devenir maman avant que le temps la rattrape. Elle a fait une croix sur le couple, il lui faut simplement un géniteur. Sa décision ne fait pas l’unanimité auprès de ses amis, et, même si parfois elle doute, elle est déterminée à surveiller son cycle, à provoquer les rencontres, à boire des potions magiques et à lever les jambes après chaque rapport, sait-on jamais.

89 mois

89 mois – Caroline Michel

Éditeur : Préludes (2016)

Pages : 288

Ma note : 4,5/5

Mon avis :

Comme Julian est parti, comme il n’a pas emporté avec lui le désir d’enfant, alors Jeanne l’a gardé au plus profond d’elle-même et elle l’a décidé, cet enfant elle le fera seule, quitte à risquer sa vie. Elle a 33 ans et le compteur tourne, il lui reste 89 mois pour atteindre son but, pour réaliser son projet, son désir de grossesse, un beau bébé. 

« Seule face au miroir pendant qu’il accueille une cliente, j’observe mon visage sous une lumière jaune. Il est plutôt ovale. Je ne me maquille jamais. Mes yeux sont tirés en amande, légèrement cernés. Mon nez est petit, rond. Il donne envie d’être pincé. Ma bouche est plutôt bien faite, mes lèvres sont roses. Mes cheveux châtains sont mouillés et tombent sur mes épaules. Je fixe cette image que me renvoie le miroir et je m’interroge. Est-ce que j’ai le visage d’une fille stérile ? D’une fille qui ne sera jamais maman ? D’une fille qui fera un bébé seul à trente-neuf ans ? Est-ce qu’il existe des visages de filles privées de maternité ? Naît-on avec ou l’attrape-t-on avec le temps ? Porte-t-on le visage de notre histoire ou est-ce notre histoire qui dessine notre visage ? Les vieilles filles naissent-elles le visage fatigué ? Les carriéristes, le visage carré ? Les malchanceux, le visage inquiet et les chanceux, le visage avenant ? Les angoissés ont-ils les pupilles qui bougent à toute allure et les gens heureux, les pupilles immobiles qui fixent le moment présent ? »

89 mois est un roman moderne dépeignant une femme qui l’est tout autant, un roman à l’écriture contemporaine, bourrée d’humour mais aussi de tendresse et d’émotion.

« Et puis je rêve d’un cabinet de médecin sans rendez-vous, vous débarquez le matin, il n’y a pas de queue, vous déposez un chèque, bonjour c’est pour quoi, pour une insémination, voici le catalogue, super, merci, je choisis ce monsieur, parfait très bon choix mademoiselle, cet homme roux est très demandé, allongez-vous, voilà c’est fait, la fécondation ne va pas tarder, faites un test dans dix jours, merci beaucoup, bisous, à bientôt. »

J’ai beaucoup apprécié la plume de Caroline Michel, un ton très actuel qui pourrait se ranger dans le chick-lit, mais attention, derrière cet humour décapant se cache une véritable question de société : Faire un enfant seule, est-ce mal ? Est-ce moral ? Est-ce égoïste ?
Le compteur tourne, l’épée de Damoclès menace les ovaires de Jeanne. Beaucoup d’entre nous pourront s’identifier. Car il faut l’avouer, si tu as entre 30 et 40 ans, que tu es une femme et que tu n’as pas d’enfant, tu dois souvent faire face aux réflexions et aux questionnements de ton entourage, voire même de ceux qui ne te connaissent ni d’Eve ni d’Adam mais avec qui tu discutes depuis au moins trois minutes.

« C’est vrai, je vais faire un bébé dans le dos de quelqu’un. Un coup bas qui pèsera lourd, un coup bas que j’irai déclarer à la mairie, qui aura un numéro de Sécurité sociale et un carnet de santé, que j’inscrirai à la crèche et qui fera de grandes études. »

Ce roman traite en légèreté de la pression de la société que subissent les femmes sans enfant, de leurs doutes, de leurs peurs, mais met parallèlement en exergue la liberté des femmes modernes.
L’écriture rythmée et les chapitres plutôt courts nous font dévorer les pages. De mon côté, en quelques heures, le roman était bouclé. Un véritable page-turner.
La fin est plutôt mystérieuse, à se demander s’il y aura une suite. En attendant, notre esprit vagabonde entre deux chemins que pourrait emprunter Jeanne.

Je conseille vivement ce roman à toutes celles qui souhaitent une lecture légère qui leur mettra le sourire aux lèvres, mais non dénuée de sentiments et d’émotion pour autant. Un style de jeune auteur contemporain comme on les aime.

« Je touche mon ventre en rentrant chez moi. J’espère que mon col est accueillant. Que tous les panneaux routiers sont en service. J’aimerais que mes ovules vivent longtemps, très longtemps, deux jours c’est peu. Il faudrait que mes ovules débarquent de chaque côté et s’installent pour la semaine, qu’ils prennent un bon bouquin, un bon verre, qu’ils patientent tranquillement et respirent à fond pour assurer leur survie. Je voudrais qu’ils ne meurent jamais, ne s’éteignent pas et que ma muqueuse utérine soit toujours très épaisse, une grosse muqueuse utérine disposée à accueillir un embryon, une muqueuse utérine chaleureuse, polie et douillette, qui ouvre grand sa porte, offre à boire et à bouffer et met une petite musique d’ambiance pour que son invité se sente parfaitement bien.

Une muqueuse utérine un peu feng shui. »

Je remercie chaleureusement les Éditions Préludes pour m’avoir permis de passer ce très bon moment, merci à Caroline Michel de me rappeler que moi aussi j’ai 33 ans au fait (presque 34, aie) 😀 Et merci beaucoup à NetGalley pour les beaux partenariats qu’ils rendent possible.

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Auteur : ducalmelucette

Du calme Lucette est un blog à forte tendance littéraire. Mais pas que !

6 réflexions sur « Lecture : « 89 mois » de Caroline Michel »

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