Louis Hanotte, peintre septuagénaire amnésique depuis plus de quinze ans, reçoit par la poste le roman autobiographique d’une femme dont il n’a jamais entendu parler auparavant. Poussé par la curiosité, il abandonne ses toiles afin de se plonger dans la lecture. Doriane Hector raconte son histoire d’enfant abusée dès l’âge de cinq ans par un père violent et autoritaire, qui fait voler en éclats toute la famille. Profondément troublé, Louis veut à tout prix découvrir le lien qui pourrait l’unir à cette inconnue.
Au même moment, dans un service de soins intensifs, Léa, une femme d’affaires de cinquante ans, lutte contre la mort suite à un terrible accident de voiture. Sa mère Marie la veille avec un dévouement surnaturel. Les deux femmes peuvent enfin se parler après tant d’années de non-dits.
La Pudeur des sentiments – Dalila Heuse
Éditeur : Mazarine (2016)
Pages : 304
Ma note : 4,25/5
Mon avis :
Voilà un roman touchant plein de sincérité, de courage et de résilience.
C’est à travers une alternance de personnages et d’époques que ce récit autobiographique se dévoile à nous. Telle une double vie dans laquelle les personnages se rejoignent, le pire est abordé, à la fois durement et tout en retenue et pudeur.
L’inceste, n’est-il pas la pire chose qu’un enfant doive endurer ? Comment grandir avec ce fardeau ? Comment se reconstruire après que la bête vous ait volé votre innocence et votre foi ?
Dalila Heuse nous révèle ici comment, en 1961 et à cinq ans seulement, Dor(i)ane Hector subit les premiers assauts sexuels douloureux de son père, cette « bête », ce « monstre », ce « fou » qui se cachait alors dans un sourire enjôleur. Tout le roman repose sur la double identité, la double vie que doit mener cette fillette devenue femme, la double personnalité qu’elle tait à la plupart des gens jusqu’à la publication de son livre qui sera un élément libérateur de cette vie qui ne l’a pas épargnée.
« Quand on vous vole votre vie, vos proches passent le restant de leurs jours à se demander ce que vous seriez devenu. Quand on vous vole votre enfance, c’est vous qui passez le restant de vos jours à rêver à ce que vous auriez pu être. »
En 2007, Louis Hanotte, un septuagénaire amnésique, va un jour recevoir une autobiographie, à son plus grand étonnement. Une fois le livre entre ses mains, il ne cessera de chercher qui lui a envoyé et pourquoi, sentant le tourment l’envahir.
Le même jour que cette livraison postale, Léa a un accident de voiture et tombe dans le coma. De ce tragique évènement en sortira l’apaisement d’une mère et de sa fille qui auront enfin pu libérer leurs secrets et briser un silence bien trop pesant.
Ce roman est un cri guérisseur qui laisse échapper la douleur dissimulée depuis tant d’années, mais un cri contenu, pas le cri de la colère et de la violence. On sent à travers ses mots tout le travail qui a été fait en amont, le travail sur soi, la volonté de survivre et d’attraper le bonheur malgré les difficultés qui se succèdent. Mais nous saisissons aussi ce sentiment de culpabilité qui souvent ronge une victime alors même qu’elle n’est pas responsable.
« Un immense trou creusa ma poitrine et m’empêcha de respirer. Le vide prenait une place démesurée dans ma cage thoracique et paralysait mon diaphragme, l’empêchant d’opérer le moindre mouvement. Je restai muette, pétrifiée devant elle. Je venais de mettre en route un processus irréversible. J’étais condamnée à parler, à la faire souffrir. Impuissante, je venais de me jeter dans l’arène et allais entraîner ma pauvre mère innocente dans le sillon douloureux de ma propre détresse. »
Les épreuves ont cela de nous propulser en avant, de nous surpasser, elles sont le moteur qui alimente nos forces, tant que l’on sait les utiliser à cette fin et que l’on ne souhaite pas renoncer.
C’est donc avec force et résilience que nous suivons les différentes étapes de la vie de Doriane Hector, de l’enfer à la reconstruction, jusqu’à l’apaisement.
« J’arrivais à voir mon père comme un être humain et non plus comme un animal. La résilience m’apportait une nouvelle dimension et m’aidait à vivre avec cette blessure indélébile, qui faisait désormais partie de moi. Je me nourrissais de sa substance pour grandir : elle me fortifiait. Finalement, je vivais grâce à elle. Je transcendais les conséquences de ce mal incurable en une force intérieure surdimensionnée et j’avançais. »
Ce roman est plein d’espoir et démontre qu’en se donnant les moyens, on réussit à toucher au but. C’est un fait universel, quelque soit la nature de la douleur. Ce qu’il faut retenir, c’est que l’humain est capable de beaucoup quand il prend la peine d’y croire. Le courage, quand nous sommes forcés à faire appel à lui, nous élance dans la lumière qui n’attendait que nous.
« Je n’avais, depuis, plus le droit de me plaindre, car, ce jour-là, je compris que la vie n’était rien d’autre que l’avenir dont nous disposions, parce que c’est là et seulement là que se cache l’espoir. »
Merci Dalila Heuse pour ce moment émouvant passé en compagnie de votre livre. Je salue votre force mais aussi votre plume qui ajoute à la qualité de votre roman.
Je remercie également chaleureusement les Éditions Mazarine et NetGalley sans qui je n’aurai peut-être pas eu le plaisir de découvrir cette bulle d’émotion.
Une réflexion sur « Lecture : « La Pudeur des sentiments » de Dalila Heuse »