« C’est l’heure du départ, la fin de l’été. Il faut rentrer. Dans la chambre, je reste transie, incapable de bouger. C’est l’angoisse et les regrets qui me paralysent. Je comprends que je n’ai pas pris le temps de défaire mes valises, ni même de regarder à la fenêtre. Maintenant que je réalise qu’on y voit la mer, il est temps de m’y arracher. Le séjour est passé sans moi. J’étais là, et je ne le savais pas. J’en conçois une tristesse et une culpabilité infinies, sans commune mesure avec les faits. Tu connais ce rêve étrange que je t’ai souvent décrit.
Il m’a hantée chaque nuit pendant des années. Et puis un jour je ne l’ai plus fait.
Ce jour-là, j’ai compris que l’été avait duré vingt-six ans. »
Elles sont amies d’enfance. L’une est inquiète, rêveuse, introvertie ; l’autre est souriante, joyeuse, lumineuse. Ensemble, elles grandissent, découvrent la vie, l’amour. Jusqu’à ce qu’un drame bouleverse le monde qu’elles se sont bâti… Un roman poignant sur l’amitié, le deuil, et sur ce point de bascule irréversible qui sonne la fin de l’insouciance.
Ta façon d’être au monde – Camille Anseaume
Éditeur : Kero (2016)
Pages : 234
Ma note : 4/5
Mon avis :
J’ai beaucoup aimé « Un tout petit rien », le premier roman de Camille Anseaume (il faudra d’ailleurs que je le chronique). Dans « Ta façon d’être au monde », on retrouve toute la poésie qui caractérise sa plume, mais aussi l’incroyable faculté qu’elle a de décrire les sentiments.
« Elle sent tes réticences, et elle les aime aussi. Elle salue ta façon d’être au monde.
Tu vis comme tu respires, sans t’en apercevoir. »
Toutefois, j’avoue avoir été déconcertée par la narration du premier chapitre qui, de plus est, prend la moitié du roman. Cette façon d’être détachée des personnages ne m’a pas plu. C’était comme essayer d’apprendre à les connaître sans arriver à les approcher. Ce fut long, et la poésie lancinante perdait de sa saveur.
Mais le deuxième chapitre est arrivé et a tout illuminé. Nous retrouvons le « je » et avec lui la sensation de s’approprier l’histoire. J’ai savouré, j’ai plongé dans cette relation si particulière entre deux amies d’enfance, l’une rayonnante et souriante, l’autre timide et introvertie. Quand l’une se fond dans l’intérieur de l’autre, on ressent comme un malaise. Cette belle amitié en apparence, que l’on sent pouvoir devenir sombre, est formidablement contée par l’auteure. L’ambiance est changeante et l’on grandit avec ces deux filles devenues femmes quand la mort sonne à leur porte.
« Au collège ou à la maison, face à un choix ou une contrariété, elle tente souvent d’emprunter tes yeux, pour regarder la vie à ta façon. Elle y parvient parfois. Elle se sent alors imprégnée de toi, de tes éclats de rire et de ta légèreté. Mais l’effet est souvent de courte durée, et le retour à sa propre peau lui fait l’effet d’une douche froide. Tu es la colonne vertébrale du squelette qu’elle aimerait être. »
Ce roman est bouleversant par la façon qu’il a de dévoiler les âmes. Il nous décrit, avec justesse et profondeur, comment l’on passe de l’insouciance à la réalité d’une vie qui se veut cruelle parfois.
« Tu me fais penser à une jeune mariée qu’on sollicite et qu’on évite. Personne n’ignore où tu es dans le jardin. Ta tristesse est éclatante comme une robe immaculée. »
Le deuil n’est pas seulement abordé, il est décortiqué, épluché à travers les agissements et les pensées des protagonistes. On s’identifie énormément surtout si on l’a vécu, car nous passons tous par les mêmes phases. De façon générale, c’est un roman assez sombre, il vous pénètre.
« On est repartis, tu marchais devant, les mains dans les poches, la tête baissée. On était derrière toi comme des ombres encombrantes, des éléphants dans un magasin de porcelaine ébréchée. »
Mais je salue aussi les pointes d’humour (noir) qui ponctuent ça et là une histoire dans laquelle le viscéral et l’abyssal ont une part importante.
« Tu m’expliques que ce matin, alors que tu sortais de la douche, tu t’es assise sur le lit, en proie à une nouvelle crise d’angoisse. Tu étais en sous-vêtements, incapable de te lever. Alors que tu tentais de retrouver une respiration normale, tu as eu froid, puis très chaud, tu t’es allongée sur le côté et au moment où tu fermais les yeux ton soutien-gorge s’est dégrafé.
– C’était lui. Je te jure, je l’ai senti, c’était lui.
On parle quelques instants, tu me demandes où j’étais.
– Chez le gynéco. Je me suis allongée, j’ai fermé les yeux et j’ai senti un doigt dans mon vagin, mais je crois pas que c’était lui.
Tu craches ton café dans un éclat de rire, j’essuie les gouttes échouées sur la table, comme on ramasse en secret les premières fleurs de printemps dans le jardin du voisin. »
Pour finir, je dirai donc que je suis partagée dans cet avis, la première moitié m’ayant déçue par son style voulu de narration et par ses longueurs, mais la seconde m’a complètement transportée et bouleversée. Sans oublier cette plume magnifique qui caractérise les romans de Camille Anseaume.
Je remercie infiniment les Éditions Kero et NetGalley pour cette lecture émouvante et poétique.
J’ai lu Un Tout petit Rien de cette auteure. J’ai adoré ce livre plein de sensibilité et de jolies phrases que l’on a envie de noter dans un petit calepin. Je pense donc que je lirai ce nouveau roman… 🙂
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Je suis complètement de ton avis, et l’on retrouve ces jolies phrases, presque comme une poésie, dans ce nouveau roman. Mais il est vrai que la première moitié peut être déconcertante.
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