Lecture : « Un funambule sur le sable » de Gilles Marchand (Rentrée littéraire 2017)

Naître avec un violon dans la tête, c’est impossible ?
C’est pourtant ce qui est arrivé à Stradi.
De ses premières années d’école à son arrivée dans le monde professionnel, il souffre de l’incompréhension, de la maladresse ou de l’ignorance des adultes et des enfants qui partagent son quotidien. À ces souffrances, il oppose un optimisme invincible. De petites victoires en désillusions, il apprend à vivre dans un monde qui ne semble pas fait pour lui.

Un funambule sur le sable – Gilles Marchand

Éditeur : Aux forges de Vulcain (24 août 2017)

Pages : 354

Ma note : 4,25/5

Mon avis :

J’étais tombée littéralement sous le charme du premier roman de l’auteur, Une bouche sans personne. Dans Un funambule sur le sableGilles Marchand récidive dans sa façon magnifique d’écrire sur la différence, avec poésie, délicatesse et folie douce. 

“ J’étais quelque part entre l’enfant normal et l’enfant handicapé. Il n’existait pas de case pour les gens comme moi. La nature ne m’avait pas prévu, la société ne m’avait pas prévu, la médecine ne m’avait pas prévu et mes camarades ne m’avaient pas prévu. Ils devaient apprendre une nouvelle règle. ”

Le style reconnaissable de l’auteur lui a déjà valu d’excellentes critiques et son premier roman fut même primé. C’est encore une fois dans une réalité poétisée que la différence est décrite au quotidien. Ici, le narrateur, surnommé Stradi, naît et grandit avec un violon dans la tête. Il nous explique comment la musique s’emballe parfois, comment cette musicalité est perçue par son entourage et par tous, qu’ils soient adultes ou enfants. Nous évoluons avec ce personnage intelligent et sensible, enrobés dans son optimisme, dans ses moments de tristesse, dans ses envies de normalité mais aussi avec les atouts que son originalité lui offre : la rêverie, la magie, la spontanéité, la liberté, un monde dans lequel il parle aux oiseaux.

“ S’ils avaient trouvé ça « mignon » au début, j’ai assez vite perçu que mes conversations avec les oiseaux n’emballaient pas mes parents. Pour eux, il s’agissait de jeux d’enfants qu’il allait bien falloir cesser si je voulais avoir une chance d’aller à l’école. C’était un peu comme si je parlais à des meubles ou à un ami imaginaire. Des objets à plumes avec qui il était impossible d’entrer en communication. Ils ne pouvaient pas envisager que j’avais de véritables conversations, si bien que je pris l’habitude de ne plus en avoir devant eux, afin de leur épargner une inquiétude inutile. ”

Mais évidemment rien est facile puisque l’humain se méfie de l’originalité, il la dédaigne même parfois. Sauf Lélie. Cette jeune femme qui fait tourner la tête de notre musicien de la vie, qui fait vibrer ses cordes et envoler les notes. Un quotidien pas toujours si simple mais emprunt de joie et de drôlerie. Lélie a su apprivoiser cet homme au violon, ou peut-être est-ce l’inverse. Elle a su écouter son cœur, aller au-delà des a priori et des fortes réticences de ses parents. Alors Stradi est heureux, Stradi est amoureux comme jamais. Car, comme tout ce qu’il vit et entreprend, il le fait avec passion.

Puis il y a Max, son ami différent comme lui, à un détail près. La différence se voit chez Max puisqu’il boîte, pas comme Stradi pour lequel le violon est caché dans sa tête. Alors ces deux copains d’école ne vont plus se quitter, ils vont se comprendre, ils vont plonger dans un univers musical omniprésent, une évasion aux notes parfaites de God only knows des Beach Boys.

De l’enfance à l’âge adulte, nous suivons donc ces trois personnages entiers dépeints sous la plume délicate de l’auteur. Les courts chapitres défilent et les émotions restent. Même si le tempo allant crescendo et le final époustouflant de Une bouche sans personne me l’a fait légèrement préférer à Un funambule sur le sable, j’ai tout de même vraiment adoré ce dernier pour toute la douceur qui s’en dégage du début à la fin. Les personnes qui n’accrochent pas à la fantaisie préféreront sans aucun doute celui-ci qui est plus tendre, plus régulier dans les sentiments qui émanent des chapitres, et beaucoup moins loufoque. Mais dans tous les cas, c’est sans contexte un véritable plaisir de retrouver cette poésie magique qui raconte la différence et l’originalité comme personne, et qui dépeint si justement les relations humaines et la société en général.

“ La société dans son ensemble n’attendait et ne désirait qu’une seule chose de moi : que je sois comme tout le monde. Depuis des années, je me battais pour m’adapter à cette société qui m’avait toléré. Mais cette société faite par des hommes et des femmes n’était pas quelque chose de naturel. La société avait décidé que l’on pouvait manger des vaches et des veaux mais surtout pas de chat, elle avait décidé que les hommes pouvaient avoir plus de responsabilités que les femmes, qu’il était normal qu’il y ait des riches et des pauvres, que l’on devait vouvoyer un adulte mais que ces derniers n’étaient pas tenus de vouvoyer un enfant. La société avait établi tout un tas de règles mais n’avait rien prévu pour les gens qui n’étaient pas capables de les suivre pour des raisons indépendantes de leur volonté. Elle les acceptait mais ne leur donnait pas une réelle chance à part celle de rester bien sagement assis sans trop déranger et surtout, surtout, sans oublier de lui dire merci. ”

En bref, ce roman est une nouvelle réussite de Gilles Marchand qui confirme ses talents de conteur. À mi-chemin entre le réel et l’imaginaire, il détient plus d’une corde à son violon et c’est avec émotions, poésie et délicatesse que nous plongeons dans le monde spontané, imagé et musical des personnages, confirmant que la normalité peut tout à fait se mélanger à l’originalité si tant est qu’il faille faire une différence, mais appuyant également sur la difficulté de choisir entre rester soi-même ou renoncer à tout ce qui fait notre personnalité et notre être.

“ À vrai dire, je me suis toujours senti comme un funambule. J’ai avancé dans cette société en prenant mille précautions. Légèrement au-dessus, un peu au-dessous ou complètement à côté, je ne sais trop où, mais jamais en son sein. Je me suis maintenu en équilibre tant bien que mal, sachant que je pouvais chuter à tout instant. J’aurais pu considérer mon violon comme un don de la nature mais il était trop lourd à porter. J’ai avancé dans la vie comme un funambule sur le sable, avec un don que je ne pouvais pas utiliser, empêtré et maladroit. ”

Lu dans le cadre de la Masse Critique de Babelio. Un grand merci à eux ainsi qu’aux Éditions Aux Forges de Vulcain pour cette belle lecture !

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Auteur : ducalmelucette

Du calme Lucette est un blog à forte tendance littéraire. Mais pas que !

12 réflexions sur « Lecture : « Un funambule sur le sable » de Gilles Marchand (Rentrée littéraire 2017) »

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