Lecture : « Les Fils du pêcheur » de Grégory Nicolas

Ar c’hwil, c’est ce coquillier, blanc et bleu, né presque en même temps que lui. Un bateau flambant neuf, prêt à affronter les mers pour la Saint-Jacques, un rêve que son père, Jean, a pourtant lâché pour galoper à la maternité. Celui en faveur duquel Jean n’a jamais manqué l’anniversaire de ses fils, ni aucun évènement dans la famille, malgré l’appel de la mer, malgré les caisses maigres. Jean, le seul pêcheur du village, le pudique, le taiseux. Le père. Un père qui a laissé un vide immense dans la fratrie lorsque le marin a disparu…

Les Fils du pêcheur – Grégory Nicolas

Éditeur : Pocket (19 mai 2022)

Pages : 231

Ma note : 4/5

Mon avis :

Les Fils du pêcheur est une chronique familiale douce, respectueuse, en pudeur et avec une pointe d’humour. C’est une plongée en Bretagne au cœur de l’univers de la pêche, de l’amour de ceux qui partent en mer et de ceux qui les attendent. Mais ici, point de clichés, point d’homme uniquement passionné par son bateau, point de femme éplorée et esseulée, point d’enfants en souffrance. Il est question d’un amour filial, certes pudique mais sincère. Alors quand le père disparaît dans les eaux profondes, il laisse un vide immense dans les cœurs de sa femme et de ses trois fils. 

Les chapitres nous transportent dans les souvenirs, au sein de divers évènements familiaux à différentes époques, ce qui nous permet de comprendre qui était le pêcheur. Mais une rencontre inattendue va apporter de forts questionnements au sein de la fratrie et remettre en question l’image du père. Aurait-il des secrets ?

Le narrateur est l’aîné des trois fils et j’ai beaucoup apprécié l’écriture qui est bercée à la fois de poésie et d’humour. Je me suis sincèrement demandée si l’auteur ne nous contait pas un pan de sa vie tellement le récit est réaliste. C’est une histoire touchante qui rend un bel hommage aux pêcheurs, à la Bretagne et aux pères.

  « Quand je revenais de la fac de Rennes pour les vacances, j’avais vingt ans, nous avons commencé à nous serrer la main avec mon père. C’est moi qui en ai pris l’initiative. Mon père n’a pas essayé de me faire changer d’avis. Je me prenais pour un homme. Je pensais que j’avais passé l’âge des bisous. « Mon cul, lulu ! » j’affirme en y repensant aujourd’hui, et en lui volant une de ses expressions comme je l’ai toujours fait. On n’est jamais trop vieux pour ça.
  Pourtant, et bien que ce soit moi qui l’aie décidé, je ne trouvais pas ça naturel de serrer sa main, c’était une distance trop grande, de celles qui ne devraient jamais s’installer entre un père et son enfant. Mes frères continuaient de l’embrasser et je les enviais. Et nous on se serrait la main. Quelle honte. J’en chialerais. Je n’osais pas lui redemander de revenir aux bisous et lui non plus, ça a duré des années. C’est infernal la pudeur. Je me souviens que ses mains étaient comme ses joues : toujours froides.
  Le jour du premier anniversaire de Marcel, j’ai bu. Il y a des choses qui sont remontées comme ça, et j’ai écrit à toute vitesse, un message très court à mon père. Je me suis relu pour qu’il n’y ait aucune faute de frappe, pour ne pas qu’il pense que j’avais bu, pour ne pas qu’il se dise que c’était l’alcool qui me faisait écrire ça, et je l’ai envoyé immédiatement. Je voulais être sûr de ne pas pouvoir faire demi-tour. Je lui expliquais que j’aimerais mieux qu’on se fasse la bise, comme avant, pour se dire bonjour, si ça ne le dérangeait pas.
  Je ne l’ai pas dit à mon père, mais en réalité c’est à mon fils que j’adressais cette demande, car je ne pouvais pas m’imaginer un jour serrer la main de mon Marcel. Ne plus lui faire de bisous ? Mon cul, lulu.
  Mon père a répondu à message : « OK. » Rien de plus. C’était assez. De là on s’est remis à se faire la bise, sans jamais en reparler ou se poser la question. Ce qui fait que je n’ai jamais plus touché les mains de mon père. Ses mains fortes et épaisses, rêches comme du papier de verre, mais qui soulevaient les casiers comme de rien, qui triaient les coquilles Saint-Jacques à toute vitesse, et effleuraient les cheveux de Marcel avec délicatesse, et les miens, enfant, et ceux de Clément et ceux de Julien aussi, et qui avaient dû caresser le ventre de ma mère bien des fois. Ses mains toujours froides. »

Au début de ma lecture, je trouvais qu’il ne se passait pas grand chose. En effet, l’auteur nous décrit une succession de petites anecdotes qui peuvent parfois paraître sans importance et on se demande bien où tout cela va bien pouvoir nous mener et surtout, s’il va bien finir par se passer quelque chose de concret. Mais l’intérêt pour l’histoire est grandissant au fil des chapitres et la mystérieuse rencontre apporte un vrai plus au récit. On finit par s’attacher à cette famille et décrypter qui était vraiment le père. 

C’est un roman touchant sur les relations père-fils. Il est ponctué de chants des marins bretons que je me suis faite un plaisir d’écouter ensuite. C’est une jolie percée dans cet univers que je connais peu pour ma part, mais surtout il est beau de lire cet amour pudique entre un père et ses enfants. La fluidité poétique de l’écriture est un enchantement. À découvrir absolument si vous aimez les chroniques familiales.

Merci à Emmanuelle des éditions Pocket !

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Auteur : ducalmelucette

Du calme Lucette est un blog à forte tendance littéraire. Mais pas que !

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