Lecture : « La plus secrète mémoire des hommes » de Mohamed Mbougar Sarr

En 2018, Diégane Latyr Faye, jeune écrivain sénégalais, découvre à Paris un livre mythique, paru en 1938 : Le Labyrinthe de l’inhumain. On a perdu la trace de son auteur, qualifié en son temps de « Rimbaud nègre », depuis le scandale que déclencha la parution de son texte. Diégane s’engage alors, fasciné, sur la piste du mystérieux T.C. Elimane, se confrontant aux grandes tragédies que sont le colonialisme ou la Shoah. Du Sénégal à la France en passant par l’Argentine, quelle vérité l’attend au centre de ce labyrinthe ? 

Sans jamais perdre le fil de cette quête qui l’accapare, Diégane, à Paris, fréquente un groupe de jeunes auteurs africains : tous s’observent, discutent, boivent, font beaucoup l’amour, et s’interrogent sur la nécessité de la création à partir de l’exil. Il va surtout s’attacher à deux femmes : la sulfureuse Siga, détentrice de secrets, et la fugace photojournaliste Aïda… 

D’une perpétuelle inventivité, La plus secrète mémoire des hommes est un roman étourdissant, dominé par l’exigence du choix entre l’écriture et la vie, ou encore par le désir de dépasser la question du face-à-face entre Afrique et Occident. Il est surtout un chant d’amour à la littérature et à son pouvoir intemporel.

La plus secrète mémoire des hommes – Mohamed Mbougar Sarr

Éditeur : Philippe Rey (19 août 2021) – En coédition avec Jimsaan

Paru en format poche le 1er février 2023 aux éditions Le Livre de Poche.

Pages : 457

Ma note : 5/5

Mon avis :

Je termine ce roman comme je les termine finalement assez peu souvent : en admiration.

Je suis impressionnée par le travail de l’écriture, par la passion pour la littérature, par la construction de l’enquête, par l’existence et l’effacement des personnages, mais aussi par la hardiesse de l’écrivain.

Ce voyage littéraire allie avec force des éléments réels et fictionnels, à tel point qu’il nous pousse à un travail de vérification : T.C. Elimane a-t-il existé ? La frontière est mince. Mohamed Mbougar Sarr dédie en effet son livre à Yambo Ouologuem qui était un écrivain malien dont le roman Le Devoir de violence fut primé puis sous le feu des accusations de plagiat quelques années plus tard. Encensé puis muré dans le silence, tout comme T.C. Elimane suite à la publication de son œuvre Le Labyrinthe de l’inhumain.
Yambo Ouologuem, tombé dans l’oubli jusqu’à ce que Mohamed Mbougar Sarr écrive La plus secrète mémoire des hommes ; T.C. Elimane, tombé dans l’oubli jusqu’à ce que Diégane Latyr Faye soit pris de passion pour Le Labyrinthe de l’inhumain et décide de mener l’enquête sur l’auteur disparu brutalement et mystérieusement.

L’écriture est à la fois exigeante, crue, fluide, provocatrice, dénonciatrice, passionnée, puissante. Nous ressentons l’embrasement de l’esprit pour les mots mais aussi pour les grands sujets politiques et historiques quant à la place des africains en occident, et inversement, que ce soit en rapport à la colonisation, à la guerre mais aussi au monde littéraire. Du Sénégal à la France, en passant par l’Argentine, il est question d’exil et des difficultés à ne pas trahir les siens lorsque la passion devient dévorante et la quête primordiale.

L’écrivain lui-même est remis en question. Ainsi, l’abnégation dont il doit faire preuve est l’essence même de son existence. Écrire relève du dévouement le plus total autant que la lecture ne peut être qu’enfiévrée.

« Je me souviens d’un des nombreux dîners que nous avions passés en compagnie de son livre [celui de T.C. Elimane, Le Labyrinthe de l’inhumain, ndlr]. Au milieu des débats, Béatrice, la sensuelle et énergique Béatrice Nanga dont j’espérais qu’elle m’asphyxie un jour entre ses seins, avait dit toutes griffes dehors que les œuvres des vrais écrivains seules méritaient qu’on débatte à couteaux tirés, qu’elles seules échauffaient les sangs comme un alcool de race et que si, pour complaire à la mollesse d’un consensus invertébré, nous fuyions l’affrontement passionné qu’elles appelaient, nous ferions le déshonneur de la littérature. Un vrai écrivain, avait-elle ajouté, suscite des débats mortels chez les vrais lecteurs, qui sont toujours en guerre ; si vous n’êtes pas prêts à caner dans l’arène pour remporter sa dépouille comme au jeu du bouzkachi, foutez-moi le camp et allez mourir dans votre pissat tiède que vous prenez pour de la bière supérieure : vous êtes tout sauf un lecteur, et encore moins un écrivain. »

Nous nous laissons emporter dans le tourbillon de cette épopée intransigeante, mystique, cruelle et libertine au cœur de laquelle la vie et la mort sont étroitement liées. Jamais nous nous essoufflons de vouloir découvrir la vérité : pourquoi T.C. Elimane est-il resté silencieux après les accusations de plagiat à son encontre, et que lui est-il arrivé ensuite ? Quelle est la destinée de Diégane ?

Le hasard n’est qu’un destin qu’on ignore.

Nous continuons le périple sans jamais nous perdre, guidés par l’auteur mais jamais infantilisés.

Le pouvoir des mots prend ici tout son sens, il peut élever autant que détruire. 

Le dénouement ne cède pas à la facilité, il nous laisse un sentiment d’accomplissement dans la pensée de l’auteur, ou peut-être est-ce seulement celle de son personnage. Les deux sont souvent étroitement liées mais est-ce si important de le savoir ? Mohamed Mbougar Sarr a offert son roman aux lecteurs, il leur a remis entre leurs mains et si la lecture s’avère puissante et acharnée, alors le but est atteint. Il ouvre les réflexions et les débats d’idées, il permet ce qu’un grand livre seul peut le faire : il passionne, il emporte, il écartèle, il coalise. Au grand jamais il ne laisse indifférent.

Ce roman a reçu plusieurs prix littéraires dont le prix Goncourt 2021.

Je remercie Anouck pour le prêt de son livre ♥

Auteur : ducalmelucette

Du calme Lucette est un blog à forte tendance littéraire. Mais pas que !

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