Lecture : « Une bouche sans personne » de Gilles Marchand (Rentrée littéraire 2016)

Un comptable se réfugie la journée dans ses chiffres et la nuit dans un bar où il retrouve depuis dix ans les mêmes amis. Le visage protégé par une écharpe, on ne sait rien de son passé. Pourtant, un soir, il est obligé de se dévoiler. Tous découvrent qu’il a été défiguré. Par qui, par quoi? Il commence à raconter son histoire à ses amis et à quelques habitués présents ce soir-là. Il recommence le soir suivant. Et le soir d’après. Et encore. Chaque fois, les clients du café sont plus nombreux et écoutent son histoire comme s’ils assistaient à un véritable spectacle. Et, lui qui s’accrochait à ses habitudes pour mieux s’oublier, voit ses certitudes se fissurer et son quotidien se dérégler. Il jette un nouveau regard sur sa vie professionnelle et la vie de son immeuble qui semblent tout droit sortis de l’esprit fantasque de ce grand-père qui l’avait jusque-là si bien protégé du traumatisme de son enfance.

Une bouche sans personne

Une bouche sans personne – Gilles Marchand

Éditeur : Aux Forges de Vulcain (parution le 25 août 2016)

Pages : 200

Ma note : 4,5/5

Mon avis :

** Parution dans quelques jours, à découvrir absolument ! **

J’avoue ne pas avoir accroché de suite à ce récit narré de façon légère mais fantasque, au style parfois répétitif. Mais je dois vous prévenir, ce roman, une fois apprivoisé, va vous surprendre et vous émouvoir ! 

Sous une apparente légèreté se cache un millefeuille émotionnel. Sa construction est originale et pour le moins déconcertante au premier abord. Nous embarquons à bord d’un véritable vaisseau spatial de la littérature qui met en scène quatre amis, les cicatrices de trois d’entre eux et un poème. De situations rocambolesques s’extraient la douleur des souvenirs, la capacité de chacun à se préserver et accéder du mieux possible à une vie plus heureuse, ou au moins plus supportable.

Le narrateur traîne sa cicatrice, un fardeau qu’il tente de dissimuler à tout prix. Il se ferme comme une huître et couve la perle reflétant la terreur de son passé. Mais ses amis vont l’aider à s’ouvrir, et c’est alors que le spectacle commence. Dans le café de la belle Lisa, la foule s’amasse au fil des chapitres, le narrateur devient conteur, artiste de sa vie et de celle de son grand-père Pierre-Jean, cet homme fantaisiste qui exorcisait ses douleurs dans la dérision, qui inventait un quotidien un peu fou pour se préserver du chagrin. Peu à peu le petit-fils va investir l’esprit abracadabrantesque de son grand-père et lui ressembler.

Puis il y a les amis du narrateur, Thomas, son mystérieux roman et les deux enfants qu’il n’a pas eu, Sam et ses lettres tout droit sorties d’outre-tombe, et enfin Lisa qu’il rêve de conquérir et qui ne cesse d’apporter soutien et allégresse dans ce monde de souffrances que chacun tente d’adjurer à sa façon.

C’est un roman sur l’amitié, la différence, les relations sociales et la résilience. Il décortique de façon juste, originale et émouvante la reconstruction de l’esprit après l’horreur, les moyens que se donne l’homme pour survivre au pire. Les histoires loufoques m’ont fait penser à celles d’Arnaud Le Guilcher, cette façon d’amener l’improbable à décrire les douleurs de la vie et à mettre le doigt sur les failles sociales.

Le rythme va crescendo et c’est en cela que j’ai apprécié, aimé de plus en plus ce roman. Les situations saugrenues se multiplient, la foule afflue pour le spectacle, les personnages extravagants abondent, les animaux s’humanisent, le narrateur se dévoile et se libère encore et encore, et puis tout se termine en apothéose émotionnelle. La dérision et la légèreté laissent place au nez qui pique, à la gorge qui se noue, aux larmes qui se pressent dangereusement au bord des yeux. Les allégories laissent échapper les cris des hommes et des femmes, un poème délie les affres du passé encore trop présentes, il n’y a plus que les mots qui résonnaient autrefois dans les âmes vides, une bouche qui hurlait, sans personne. Une bouche qui raconte désormais et libère, et unit. Un poème et une cicatrice.

« À travers eux, mon histoire devient une histoire. C’est peut-être ce dont j’avais besoin pour avancer. Je ne suis plus qu’une bouche, une espèce de lien avec un autre temps qui se dépossède de ce qu’il a sur le cœur. Mon histoire leur appartient et se mêle à leurs propres souvenirs. »

J’ai eu la chance de lire ce roman dans le cadre des Explorateurs de la rentrée littéraire du site Lecteurs.com, je les remercie vivement ainsi que les Éditions Aux Forges de Vulcain, et Karine, notre rédac’ chef pour l’évènement.

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Auteur : ducalmelucette

Du calme Lucette est un blog à forte tendance littéraire. Mais pas que !

9 réflexions sur « Lecture : « Une bouche sans personne » de Gilles Marchand (Rentrée littéraire 2016) »

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