Lecture DÉVORANTE : « Toutes blessent, la dernière tue » de Karine Giebel

Maman disait de moi que j’étais un ange.
Un ange tombé du ciel.
Mais les anges qui tombent ne se relèvent jamais…

Je connais l’enfer dans ses moindres recoins.
Je pourrais le dessiner les yeux fermés.
Je pourrais en parler pendant des heures.
Si seulement j’avais quelqu’un à qui parler…

Tama est une esclave. Elle n’a quasiment connu que la servitude. Prisonnière de bourreaux qui ignorent la pitié, elle sait pourtant rêver, aimer, espérer. Une rencontre va peut-être changer son destin…

Frapper, toujours plus fort.
Les détruire, les uns après les autres.
Les tuer tous, jusqu’au dernier.

Gabriel est un homme qui vit à l’écart du monde, avec pour seule compagnie ses démons et ses profondes meurtrissures.
Un homme dangereux.
Un matin, il découvre une inconnue qui a trouvé refuge chez lui. Une jeune femme blessée et amnésique.
Qui est-elle ? D’où vient-elle ?

Rappelle-toi qui tu es. Rappelle-toi, vite !
Parce que bientôt, tu seras morte.

Toutes blessent, la dernière tue – Karine Giebel

Éditeur : Belfond (29 mars 2018)

Pages : 741

Ma note : 4,75/5

Mon avis :

Comme j’ai aimé ce roman noir, comme je l’ai dévoré ! Malgré ses 740 pages, en quelques petits jours, je l’avais englouti. Une fois commencé, il est difficile de le lâcher. Ce récit est une plongée dans une difficile réalité, pleine de souffrance et de violence, mais Karine Giebel a également su instiller beaucoup de résilience, de courage, de fidélité et d’amour. 

Tama, de son faux prénom, arrive en France avec seulement huit ans de vie familiale marocaine derrière elle. Mais déjà la vie n’a pas oublié de la faire souffrir puisqu’elle a perdu sa mère. Quant à son père, espérant certainement un avenir meilleur pour sa fille – et notamment la possibilité d’une scolarité en France -, se laisse convaincre par une femme de la laisser partir contre une somme d’argent. À son arrivée en France, Tama, ainsi rebaptisée (diminutif de Tamazzalt, la dévouée en arabe), est déposée dans une famille avec trois enfants. Commence alors un long calvaire…

« Je crois qu’elle ne m’aime pas. J’ai peur qu’elle ne m’aime jamais.
Pourtant, je garde espoir.
Pourtant, je fais des efforts pour lui faire plaisir.
Je lui apporte son thé bien chaud dans la chambre ou dans le salon. Je lui prépare ses pâtisseries préférées, je parfume ses oreillers et son linge. Elle a une penderie pleine de magnifiques vêtements. Des choses qui doivent valoir très cher.
Bien plus cher que moi, dirait-elle.
Mais moi, de toute façon, je ne vaux rien. »

Esclave moderne de plusieurs foyers, Tama ne cesse de travailler malgré son jeune âge. Pire, elle est violentée comme jamais. Malgré toute cette horreur, elle a la force de s’instruire par elle-même, fait preuve d’un immense courage et d’une incroyable résilience. Un jour, elle rencontre une personne qui changera peut-être son destin. Mais tellement d’épreuves l’attendent encore toutes ces années.

Le récit est d’un réalisme foudroyant. La mort est omniprésente. Les plaies dévorent les pages. Les chapitres s’engloutissent à toute vitesse, parce qu’on ne peut pas lâcher Tama, cette petite fille intelligente que l’on voit grandir, que l’on voit souffrir, pour qui l’on a tellement d’espoir. Les évènements se déchaînent, les poings se serrent, la douleur ne cesse jamais bien longtemps. L’auteure n’épargne rien. Mais le répit est là, par petites touches, et il atteint directement notre cœur, il fait palpiter notre espérance comme jamais.

En parallèle et dans un jeu maîtrisé d’alternance, nous faisons la connaissance de Gabriel, homme mystérieux et effrayant, qui découvre chez lui une jeune femme blessée qui d’abord le menace, puis perd connaissance en prenant la fuite. L’homme l’installe alors dans sa chambre, veut la tuer mais hésite, sans savoir pourquoi. Parce qu’habituellement, il n’est pas du genre à faire dans les sentiments, ni dans la dentelle. La jeune femme finit par se réveiller mais elle a tout oublié, jusqu’à son nom. Se déroule alors, lentement, au fil des chapitres, un chemin qui nous mène vers la vérité, vers leurs passés respectifs.

Et l’on se demande quand et de quelle façon les deux histoires vont se rejoindre.
On pense tout découvrir mais l’on ne sait rien, ou pas encore suffisamment pour deviner ce qu’il adviendra. On se laisse alors surprendre, on laisse l’auteure nous embarquer dans la vie de ces personnages torturés qui se battent pour survivre à un passé douloureux et ignoble et qui rendent leur présent difficile, par la force des choses, parce qu’ils n’ont rien connu d’autre. Une existence trouble dans lequel on immerge complètement. Les relations compliquées qu’ils entretiennent et surtout les rapports de pouvoir et de force, l’ascendance que l’un peut avoir sur l’autre, sont parfaitement analysés et retranscrits par l’auteure. La psychologie est largement développée et il est vraiment très intéressant de se glisser dans la peau de ces personnages complexes.

Quand tous les morceaux du puzzle s’imbriquent, alors on se dit que Karine Giebel assure vraiment, et nous avons la sensation que jusqu’aux dernières lignes, tout peut basculer.

Un roman noir exceptionnel maîtrisé de bout en bout ! Un pavé sur l’esclavage moderne ultra réaliste que l’on dévore, que l’on ne lâche plus, qui captive, qui effraie, qui insurge, qui fait battre le cœur… Une incessante quête d’amour. Mais le danger est là, toujours. Les tirs fusent, les coups pleuvent, les cris s’élèvent, les plaies s’ouvrent et se referment. La vengeance est souveraine.
Vulnerant omnes, ultima necat.
Toutes
les heures blessent, la dernière tue.
Toutes les balles aussi…

« Dans le salon, Tama est assise devant la machine à coudre. Elle a des ourlets à faire sur des pantalons neufs pour Émilien et Adina. Sefana et Fadila sont vautrées dans le canapé. Toutes deux concentrées sur leur smartphone, elles ne se parlent pas, ne se regardent pas. Tama songe que si elle avait la chance d’avoir sa mère assise près d’elle, elle la dévorerait des yeux, lui parlerait pendant des heures. Lui confierait ses petits secrets, serrée contre elle.
Mais Fadila ne sait pas encore ce que ça fait de ne plus avoir sa mère à côté de soi. Tama, elle, connaît cette souffrance, inscrite dans sa chair au fer rouge.
Elle les observe du coin de l’œil. La mère comme la fille peuvent passer des heures devant leur téléphone et ne s’en séparent jamais. (…)
Alors, Tama réalise qu’il existe mille façons d’être un esclave. »

Mon pavé de mai 2018…

Un grand grand MERCI à Babelio ainsi qu’aux Éditions Belfond pour cette incroyable lecture !

Auteur : ducalmelucette

Du calme Lucette est un blog à forte tendance littéraire. Mais pas que !

8 réflexions sur « Lecture DÉVORANTE : « Toutes blessent, la dernière tue » de Karine Giebel »

  1. Je n’ai encore jamais lu cette autrice mais ce roman me tente beaucoup !
    Elle en a justement parlé lors d’une conférence pendant les quais du polar et ça m’a donné très envie de le découvrir 🙂 (ta chronique ne fait qu’accentuer cette envie)

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      1. Une autre lectrice m’a fait remarqué que, malgré les souffrances, les sévices, cette femme reste toujours aussi belle. Elle ne l’a pas trouvé si réaliste et regretté un peu la surenchère des sévices, de la violence qui nuit à la lecture. Un livre que je lirai si je le trouve à la bib

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      2. Il est vrai que l’on se demande comment elle arrive à survivre à tout cela, mais cela existe dans le monde… donc pour moi c’est réaliste. Je ne suis pas fan de violence, mais tout l’art du récit consiste justement à happer le lecteur par d’autres manières : la psychologie des personnages, un attachement et une forte espérance pour Tama, le suspense quand à l’issue de son destin ainsi qu’au sujet de l’histoire parallèle avec Gabriel. Il est diablement bien construit et pour moi, cela fonctionne à merveille !

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  2. Moi aussi j’ai dévoré les pages en 5 jours, ( Purgatoire des Innocents en un temps record mais il faut avouer qu’il y est beaucoup de suspens). ce qui me tourmente c’est cette passivité de l’héroïne et son manque de prise d’initiative alors qu’elle ne manque pas de courage.
    L’HOMME EST UN LOUP POUR L’HOMME. Ce roman démontre que le loup n’est qu’un agneau par rapport aux désirs démesurés de l’homme…

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